Howard Armstrong "Louie Bluie"

Ni slide, ni résonateurs (ou très furtif...).

Un documentaire tourné par Terry Swigoff (dont le nom vous dira quelquechose si vous avez quelques vieux disques des "Cheap Suit Serenaders").
Il a aussi tourné un doc plus connu sur Robert Crumb.

Je découvre qu'il a tourné celui-ci sur Howard Armstrong, multi-instrumentiste flamboyant; notamment au violon et à la mandoline, ayant gravé quelques 78 tours à vous faire péter la calotte crânienne.
Des monuments historiques restant totalement stupéfiants malgré l'âge et des morceaux devenus cultes.

Un pur moment de bonheur !



Je dois l'avouer; honte à moi...j'ai longtemps fui les enregistrements tardifs des musiciens de l'ancienne génération réalisés dans les années 60 /70/80.
J'étais jeune et j'étais vite déprimé par la perte d'intensité, de dextérité liée à l'âge...
Mais aussi parce que les chercheurs qui allaient retrouver les vieux chez eux ne trouvaient rien de mieux que de leur coller dans les pattes des instruments modernes, fruits d'une uniformisation commerciale hégémonique...dénaturant l'essence mème de leur son, influant directement sur leur façon de jouer.

Stupéfait de découvrir le personnage chez lui, dessinateur-peintre-caligraphe ultra créatif et prolifique.
Conteur et blagueur invétéré (je retrouve cette finesse d'esprit résolument tournée vers les autres, capable de faire sourire ou rire quiconque qu'avait aussi mon grand-père.
Avec cette mémoire de collecte et d'embellissement des histoires comiques, parfois coquines, parfois initiatiques...cet humour du peuple qu'on juge trop facilement "vulgaire" mais qui passe de bouche à oreilles de générations en générations.
Cette étincelle canaille au coin de l'oeil.

Je pense que mon rapport à l'histoire, à la mémoire populaire et donc au Blues découle de la perte des carnets de collecte de blagues que mon grand-père...ma grand mère les ayant éliminés à son décès... il était frigoriste, et à l'époque ce boulot l’amenait partout où il y avait convivialité; il tournait avec son "estafette" Renault partout dans les campagnes, bistrots hôtels, relais routiers étaient encore très nombreux le long des routes...je me souviens de ses récits, et parfois c'était pas loin des "Juke-Joints"du Mississippi....son atelier était à deux rues du "honky-tonk" d'une ville de garnison.

C'était une sorte de Alan Lomax de la blague de comptoir.

Oui à l'heure de me too, ce type d'humour est catégoriquement banni, déclassé de façon parfois trop violente; c'est compréhensible et évident, mais il faut toujours garder une part d'analyse plus fine.
Mon grand père avait ce talent d'adapter son récit à la personne, au contexte; la mème histoire existait sous plusieurs versions plus ou moins poétiques et imagées.
Parfois de petits chef d’œuvre qui rendaient la crudité du propos presque innocente.
C'était véritablement un jeu d'esprit qui illuminait la journée de beaucoup de gens qui n'avaient que peu d'occasion de s’occuper de leur esprit.
Il se faisait souvent payer en nature, par troc; ce qui lui a permis de ramener à la maison tout un bric à brac improbable, dont deux accordéons qu'il chérissait en cachette dans son garage, car sa femme ne supportait pas ses tentatives fastidieuses d'apprentissage autodidacte.
Armoires, canapés, téléviseurs, mobylette, voiture parfois... il fournissait la famille, ou bien revendait à qui en avait besoin, ce qui lui a permis de tisser un réseau social hyper vaste...
Tout le monde le connaissait et il pouvait traverser les notions de classe, de milieu social qui conditionnaient encore beaucoup les relations après-guerre.

Hélas tout une partie du répertoire de Blues, String bands, hokum, ragtime, western swing etc... peut tomber sous la lame de la censure, car cet humour grivois, parfois sexiste il faut l'avouer était absolument omniprésent à l'époque.

Je me souviens du commentaire glaçant d'un musicien anglais décrivant les chansons de Bo Carter comme "aussi mauvaises" que tout le western-swing de l'époque... quel dommage de ne pas avoir cette marge de conscience, de recontextualiser et comprendre cet humour absolument vital et nécessaire pour établir le contact, la complicité avec le public de ce temps.
Tout comme ces "floating verses" piochées dans un tronc commun poétique, permettant d'accrocher l'oreille de l'écoutant, de capter son attention, de l'inviter à penser ou dire la strophe de conclusion, en l'incluant fraternellement pour lui suggérer qu'on est issus du mème milieu, de la mème classe...oui cet humour cru en apparence cache une intention bien plus subtile qu'il n'y paraît....
Mais c'est la maladie de notre époque de cristalliser sur l'aspect négatif, catégoriser, généraliser, rester en surface...

Bref; la question qui me chatouille serait de savoir si le travail graphique de Howard Armstrong a été édité ?????????? (j'espère que les héritiers n'auront pas fait comme ma grand-mère et que cette partie de son œuvre sera dignement considérée).